J’ai été mordu…
Train 2934, entre deux villes, voici l’histoire de ma vie.
Je quittai mon Liban natal pour changer d’air. Pas exactement : c’est Flaubert de sa tombe qui, par les cheveux, m’a traîné jusqu’ici, rue de la demi-lune.
Les briques de cette maison nordique sont entassées comme mes jours. Je suis fatigué de toujours faire semblant d’être moi.
La campagne est belle. Il y règne une atmosphère de paix. C’est sûrement là où mon âme aimerait se reposer- on s’est concertés hier et on trouve que c’est un lieu spacieux et sujet aux courants d’air.
Toute à l'heure, j’ai appris que j’avais 27 ans. Une claque.
« 3 juin 2007 » a dit le contrôleur. « Périmé, votre titre de transport est périmé, monsieur »
Entre les rails du train tout le monde sait qu'il existe de camps de concentration jamais explorés.
Cet après-midi, j’avais compris que je ne pourrais jamais vivre avec une femme qui, d’une façon ou d’une autre, venait à me montrer ses orteils. Les orteils c’est la mort. Le képi du contrôleur abrite la vacuité.
Hier, j’ai appelé mon ex. Je lui ai dit que je pensais à elle. Toujours. Elle m’a répondu : « Moi, jamais. » J’ai pleuré de tout mon cœur, pleuré comme ce n’est pas permis. Une mer, un océan de larmes. J’étais sur le point de l’atteindre quand elle s’est noyée.
J’essaie de dormir. Impossible : j’ai trop bu de coca. Mon âme est tendue comme un trampoline.La voix-off du contrôleur n’a pas lieu d’être. Le contrôleur, en tant que tel, non plus.
Mon amie chinoise, inlassablement, me répète que je serai un grand écrivain. Moi, toujours je lui réponds :
- Mais non, à 27 ans on ne peut plus grandir. Pour les filles, cela s’arrête à 16 et chez les garçons, à 21, au plus tard.
- Hahahaha, qu’elle réplique.
Chaque jour, même itinéraire : Effet-mer – Outrereve- Msn- Effet-mer- Msn. Je pense que juste la mort pourrait mettre terme à une aliénation pareille.
Entre toi et moi, il y a moi.
J’ai dit à mon père que je souhaitais qu’il crève. Il a pleuré un bon coup avant de m'avouer que j’avais complètement raison. Par la même occasion j’ai appris que ma mère s’appelait Yolande. Toute la soirée je l’ai passée à prononcer son prénom en boucle. Résultat : je n’aime pas son prénom.
La lune est ronde dans la fenêtre.
Cette nuit j’ai rêvé ceci : je suis dans la rue, une inconnue vient à ma rencontre. Elle me tend un verre vide et me demande si je pourrais le lui remplir car elle meurt de soif. Je lui dis « pas de problème, je vous apporte ça ». Je monte à la maison. Trois jours après, découvrant le verre sur une table basse, je me rappelle que la bonne femme m’attend toujours en bas de chez moi.
Verser des larmes c’est comme verser de l’argent sauf que c’est moins cher.
Trois quart d’heure, c’est le temps que j’ai mis pour trouver une position décente pour m’endormir. J’ai opté pour celle de l’embryon. La buée sur les vitres est amniotique.
J’ai beaucoup d’humour, je trouve. C’est sûrement parce que, quelque part, je souffre. Je souffre beaucoup, je trouve. C’est sûrement parce que, quelque part, je ne ris que très rarement.
Sylvie m’a dit que je serai un grand poète et qu’un jour, il y aurait une rue à mon nom. Je lui ai dit :
- Mais non
- Si, si.
- Non.
- Si.
- Non.
- Si.
- Non.
- De quoi on parlait déjà ?
- Expldr.
Les arbres défilent comme des mannequins, à ce détail près qu’on ne les reverra jamais, les arbres.
- Tu connais l’arbre le plus célèbre ?
- Non, c’est quoi ?
- Naomi Campbell.
Juste au dessous de moi il y a un bruit, un sifflement. Les bombes sifflent-elles avant d’exploser ? Trop tard.
On est rentrés dans ce resto chinois. « La Grande Muraille » qu’il s’appelle. Très original. Il n’y avait personne. Jusqu’à ce qu’une femme au yeux bridés- la serveuse ?- fasse son apparition. « Bonjour » qu’on lui a dit. Elle n’a pas répondu. « On peut manger », on a demandé. « Pardon ??!! » elle s’est exclamée. « ON PEUT MANGER ? » « Bah installez-vous » qu’elle nous a fait. Quand elle est revenue pour nous remettre les cartes, on n’était plus là.
Mon reflet dans la fenêtre m’a crié que je serai plein d’asticots un de ces quatre. Alors j’ai fermé les yeux et me suis imaginé, sans grand effort, la sensation que l’on pourrait avoir quand on se brise le cou. Je crois que je l’ai juste. A voir.
Ces deux derniers jours, j’ai dessiné des femmes nues, des maisons en 3D et beaucoup, beaucoup de taureaux.
Je louche légèrement : dans un visage aux traits réguliers, cette douce anomalie trahit ma folie.
J’ai caché mon bassin par une chemise noire, sorti mon sexe et pensé à Johanna qui voulait toujours baiser quand on était encore ensemble. « Je suis à toi, toute entière. » qu’elle me disait. Je suis venu en moins d’une minute. Je pense que je préfère notre vie sexuelle d’aujourd’hui.
Johanna,
Parfois, les trains tanguent comme les bateaux.
Parfois, il est préférable de fermer les yeux pour voir plus clair.
Parfois, l’amour a une odeur douteuse.
Parfois, 3*5 font 15.
Parfois, j’ai envie de voler
Parfois, j’ai 27 ans
Parfois, je pense à toi souvent.
Parfois, la mort surgit quand on l’attend le moins.
Parfois, quand je suis dans une gare j’attends le moment où mes yeux rencontreraient les tiens. Parfois, je pense que mon dernier souffle serait un rire de cochon.
Parfois, il y a une chose qui se brise en moi et c’est irrécupérable.
Parfois, je me rappelle qu’à un moment donné de mon existence, j’adorais les chats. Même si je les balançais du cinquième étage, ça n’empêchait pas. C’était aussi l’époque où, petits encore, je m’amusais à renverser la glace de mon frère cadet. Jamais je n’oublierai ce filet de bave qui se suspendait à sa bouche quand il chialait.
Chaque nuit, j’embrasse mes quatre doigts en guise d’affection pour ma famille, qui est loin : Joe, Fabien, Maman et Papa. Chaque nuit, je me dis comment cela serait-il si je me casse le cou.
Cette nuit, je rentrerai à pieds, pour changer.
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c'est tout simplement beau et triste au méme temps , je ne sais pas mais en lisant , javais vraiment l'envie de pleurer .
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