mardi 2 novembre 2010

L'ennui du dimanche : la vraie histoire

Nous y sommes, encore un dimanche, un!
Ah qu'on a parlé et continue de parler de ce jour de l'ennui, tantôt en le méprisant tantôt en le chantant et ce dans tous les pays du monde. Jour de l'ennui, c’est vrai, encore aujourd'hui j'en ai moi-même fait l'expérience, mais j'ai aussi découvert quelque chose d’important- j'avoue qu'à la satisfaction que causa ma découverte, mon cœur battit un peu plus vite que d'ordinaire. En fait, dans un moment où l'ennui avait atteint son paroxysme justement j'ai soudain compris que ce jour, le dimanche, c’est la somme de tous les autres jours de la semaine ainsi que les états d'âme qui les accompagnent, où se mêlent, arbitrairement, le dégoût du lundi, la résignation du mardi, l'ennui du mercredi et du jeudi, l'espoir du vendredi, et la frustration du samedi. Voyons donc comment ces divers sentiments, avec l’ennui, viennent à se manifester tour à tour en un seul et unique jour.
Mais avant laissez-moi vous apporter quelques précisions. Au fil du texte il n’y aura question que de l'homme ordinaire- et célibataire ( je traiterai le cas de l'homme en couple, très intéressant du reste, dans un article futur. ) Ainsi, je ne parlerai ni de l'homme dynamique qui attend impatiemment ce jour libre après une grosse semaine de travail pour s'évader dans la campagne où il peut pratiquer l'escalade ou s'oublier dans des kilomètres de randonnées, ni de l'homme paresseux qui n'a envie de rien d'autre que de rester sous ses draps et, peut-être, s'il réussit à rassembler ses forces, aller faire un tour en ville en errant de café en café un coup rêveur un autre déprimé. Non, et milles fois non, c'est l'homme ordinaire qui m'intéresse, celui qui se situe entre le paresseux et l'aventurier, l'homme tiède, car curieusement c'est lui, des trois, qui est le plus contradictoire et, du coup, le plus attendrissant- l’homme tiède pense, à tort, pouvoir, par un simple effort de sa volonté, changer sa nature de tiède.
Par ailleurs, il va sans dire que la cible de notre analyse sera le dimanche des sociétés occidentales et des sociétés chrétiennes.

Qu'il soit lève-tôt ou adepte de la grâce matinée, l'homme tiède se réveille avec espoir puisqu'il n'a pas de devoir à accomplir et, s'il est de nature positive, il se réveille le sourire aux lèvres. A tout le moins, l'homme du dimanche est "relax". A peine a-t-il ouvert les yeux, dans son petit esprit il multiplie les projets et les alternatives. Il est décidé de bien profiter de cette journée, surtout s’il fait beau. Il a tout son temps pour lui. Du moins il le croit ; puisque l'homme tiède ne sait jamais employer son temps à bon escient. Et c'est là que le dérèglement survient. On verra cela plus tard, pour l’instant poursuivons.
La première chose que l'homme tiède fait après avoir quitté son lit c'est d'aller pisser les yeux mi-clos. Une fois la vessie vidée, il asperge son visage avec une poignée d'eau- tiède- de façon qu'il ne se brusque pas trop ( l'homme tiède n'aime pas la brusquerie sous toutes ses formes ) tout en s'assurant qu'il est un brin plus réveillé. Après, toujours en traînant les pieds, il met de l'eau à chauffer pour son café. S'il a des chats, il leur donne à manger, si non il s'assoit sur son canapé à attendre que l'eau chauffe, la tête entre les mains. Le café prêt, il le sirote le regard fixe ou, s'il a des chats, il les observe finir leur gamelle en en relevant toujours un détail nouveau. Ensuite pour émerger de son sommeil encore d’un cran il met de la musique qui sied à son humeur et caractère.
Le café avalé, l’homme tiède reste encore dix minutes sur son canapé, la tasse et le regard vides, achevant de se réveiller pour de bon. Puis, tout d’un coup, il est envahi d’une flopée d’idées de projets pour la journée : manger dehors avec son meilleur ami ou rassembler quelques potes et faire une virée dans la campagne ou bien inviter la famille longtemps pas vue pour déjeuner ensemble ou bien encore appeler J. pour l’inviter pour un cinoche l’après-midi histoire de la connaitre un peu plus…etc. Tant d’idées aussi diverses que louables. Et c’est là que le deuxième sentiment de la journée, après l’espoir, fait son apparition : la frustration. Comment choisir d’entre toutes ces idées ? Et si J. ne répond pas ? Est-ce une bonne idée d’endurer la fadeur de ses parents vieillissants alors qu’on pourrait très bien se prélasser sur une terrasse de café en compagnie des potes à mater les femmes passer ? L’homme tiède est tiraillé par toutes ces questions, il ne veut décevoir personne ni être déçu tout en s’assurant de préserver son indépendance. C’est pour cela qu’il ne prend pas une décision tout de suite, il attend encore, le regard toujours aussi vide.
Voilà une heure déjà passée depuis son réveil. Mais il finit par se décider quand même : il va s’habiller. L’homme tiède aime être chic, au moins le paraître. Il met sa dernière chemise. Il se rase. Il prend une douche. Il se fait beau. Il ne sait toujours pas ce qu’il va faire mais il est prêt. Il ne va quand même pas se rasseoir stupidement sur son canapé. C’est alors qu’il décide de passer à l’action. Il prend son téléphone pour appeler son meilleur ami. Son meilleur ami ne veut pas sortir, il déprime. Première déception. Cependant il ne baisse pas les bras. Il prend son courage à deux mains et appelle J. Son cœur bat. C’est la deuxième fois qu’il va la voir. Délicate, la deuxième fois : voudrait-elle le revoir ? A-t-elle déjà prévu quelque chose pour l’après-midi ? « Normal, se dit-il, après tout j’aurais du l’appeler avant. » Mais il espère quand même, c’est un sentimental. Ah, le téléphone sonne, elle répond mais elle ne peut pas. Elle est avec la famille, elle présente ses excuses : « je suis désolée ». « Normal qu’elle soit avec la famille un dimanche » se console-t-il. Les potes, il lui reste les potes. Il appelle ? Il n’appelle pas ? Ca fait longtemps qu’il ne les avait pas vus quand même. Mais est-ce une excuse pour s’imposer un dimanche ? Peut-être avaient-ils eux aussi déjà prévu quelque chose et puis, après réflexion, il n’a pas envie de voir ce gros balourd d’A. Finalement l’homme tiède n’appelle pas. Il ne va pas voir sa famille non plus. Il a trente ans après tout, il ne doit s’intéresser qu’à ses désirs. Mais que faire ? Que désire-t-il ? Il est prêt, pimpant, il ne va pas rester quand même chez lui, bordel, d’autant plus que dehors il fait très beau. L’homme tiède finit par claquer la porte à la gueule de ses chats qui, eux, donneraient tout pour sortir et monte dans sa voiture, démarre et s’engage dans la rue qui descend à gauche, comme ça au hasard.
Quand on est un errant tiède tous les chemins mènent au centre-ville. L’homme tiède gare sa voiture sans grand effort, il y a de la place, c’est dimanche. D’emblée, encore aux portes de la ville, le troisième sentiment, après l’espoir et la frustration, surgit : la résignation. Faut dire qu’il n’y a rien de plus inesthétique et triste que quand les rideaux de fer des magasins sont fermés et seuls deux trois cafés sont ouverts. L’homme tiède ne veut pas tomber dans l’inaction il décide alors de faire une petite marche à pied vers le port. Il marche et il pense. Il est beau mais seul. Bientôt il atteint le port et se dirige, un peu plus loin, vers la jetée, où c’est plus agréable et l’odeur du mazout en moins. Il est au milieu des couples et des familles. Personne ne le remarque. On dirait un fantôme. Mais cela ne l’attriste pas puisque ça fait du bien de marcher un peu. Mais voila que dix minutes plus tard la résignation laisse place à l’ennui. L’homme tiède n’a pas l’habitude des longues marches, il est fatigué et voudrait s’asseoir. Il choisit un café, le plus proche, et s’installe. L’ennui semble disparaître quand il voit une belle jeune femme le regarder en passant. Mais l’homme tiède est tiède il la laisse filer sans rien faire. Après tout il n’a pas le choix. Il ne va pas courir après elle, quand même. Et puis une deuxième passe et puis une troisième : même scenario. L’amour ne se laisse pas attraper pas comme ça. Il lui faut un cadre, une motivation.
Maintenant, il n’y a aucun doute, l’homme tiède s’ennuie à mort. Il prend son portable et compose le numéro d’un des potes de ce groupe de potes. Le numéro est occupé. « Veuillez appeler plus tard. » Il n’appellera pas, pas aujourd’hui. Pour contrer l’ennui qui le ronge il commande un deuxième espresso. Il sent que bientôt il va avoir faim. Cette pensée le soulage un peu pour ce qu’elle apporte de nouveau dans cette monotonie naissante. Alors qu’il est en train de boire la dernière rasade de son café son regard tombe sur une de ses « ex» qui passe par là. « N. ! » Elle est surprise mais contente de le voir. Lui, ni l’un ni l’autre. Il l’invite pour un café. Elle accepte. Les « ex » acceptent toujours. Ils parlent de tout et de rien. Elle l’aime encore. Lui, il n’a jamais aimé son odeur. Pour tout dire, il l’a toujours baisé à contrecœur. Mais aujourd’hui elle est particulièrement attirante. Jupe fendue et décolleté plongeant. « Tu partais vers où ? » demande-t-il. « Rejoindre une amie, on va voir le dernier Coppola, et toi ? » « Pareil » répond l’homme tiède. « Tu veux te joindre à nous ? » demande-t-elle. « Pourquoi pas ? » dit-il mi-stoïque mi-ravi. Il paie les cafés. Ils se lèvent et partent. Sur le chemin, il prend un sandwich qu’il avale en marchant. Les voilà au cinéma avant le rendez-vous. Ils attendent dehors. La copine ne tarde pas à arriver. Elle est très belle, vraiment le type de l’homme tiède, pulpeuse et tout. Mais son appréciation s’arrête aux yeux. Il n’ose aller plus loin. C’est un homme tiède, faut pas l’oublier. Au cinéma il s’installe entre les deux jeunes femmes. Il pose sa main sur la jambe de son ex. Elle ne dit rien, les ex acceptent toujours. Il a une érection. La « très belle » ne remarque rien. Le film touche à sa fin et l’homme tiède touche la chatte de son ex. Les ex acceptent toujours. Le film fini, ils se lèvent, l’homme tiède et son ex la main dans la main. La « très belle » est quand même surprise. « Je suis un peu déçu, Coppola nous a habitués à mieux, je trouve ». Elles sont d’accord. « Bon, on prend un verre ? » propose l’homme tiède. « Pourquoi pas ? » font les deux jeunes femmes en chœur. Ils vont dans un autre café que celui de toute à l’heure. Ils commandent des bières. Ils parlent encore de Coppola, de la vie, du travail. Lui baille, la main toujours sur la jambe de l’ex. L’ex a comme resplendi depuis que l’homme tiède a posé sa main sur sa jambe au cinéma. « Bon, on fait quoi ? » demande l’homme tiède. « Moi je rentre chez moi, demain je me lève tôt, et vous ? » dit la très belle. L’homme tiède et l’ex se regardent, perplexes. « On rentre chez moi aussi » fait-il, amusé. Ils paient, se lèvent, sortent et se séparent. Une fois chez lui, l’homme tiède et l’ex ne baisent pas tout de suite. Ils sirotent un thé chinois avant. Puis, sans crier gare, il l’embrasse goulûment, soulève sa jupe, la plaque contre le mur et lui caresse la chatte. Elle est surprise mais contente. Puis, il la pousse sur le canapé, là où il émerge de son sommeil le matin, et la baise par derrière. Il aime ça. « Tu aimes ça, salope ? » demande l’homme tiède en bavant. « Oui, mon amour, j’aime ça. » « Mon amour ? » se répète t-il. Il débande un peu mais il se reprend. Il la baise même de plus belle et éjacule sur ses fesses blanches. Il s’allonge deux minutes à côté d’elle puis il commence à sentir cette odeur qu’il n’a jamais aimé chez elle. Il se lève, dit qu’il va préparer un autre thé. Elle est déçue, elle voudrait qu’il reste encore un peu à ses côtés. « Tu veux un autre thé ? » « Non, merci, je ne vais pas pouvoir dormir après » répond-elle, pensive. « De toute façon tu ne voudrais pas que je reste dormir ici, non ? » demande-t-elle, feignant la désinvolture. « Oui, demain je travaille, je préfère dormir seul. » Silence. Elle prend son petit pull et s’en va les cheveux en pagaille. L’homme tiède est à la fois soulagé et dégoûté, surtout dégoûté. Il fait nuit. Il se couche.

Voilà, cher lecteur, comment l’homme tiède vit et passe ce jour du Seigneur, l’ennui, comme on l’a bien vu, n’étant pas le seul état d’âme qu’il l’aura traversé. Le dimanche n’est pas un jour comme les autres, j’en conviens, mais il n’est aucunement inférieur aux autres, bien au contraire, il en est le plus riche. C’est un jour-miroir où l’homme tiède, tel un adolescent, est amené à prendre le temps de s'observer. Il s'observe fond et forme. Il met sa plus belle chemise mais ne veut pas admettre sa solitude abyssale. Dans la glace dominicale tout est exacerbé, les sensations sont nues, puisque pas de distraction. La mort et la peur du vide dans toute leur splendeur. Et ça l’horrifie. Il est tout simplement horripilé par son image hideuse, celle qui fuit tant bien que mal du lundi au samedi en s’imposant des occupations et des buts à atteindre.
Tout cela pour dire que l’homme tiède, s’il y songe, devrait toujours se suicider un mercredi ou un jeudi, des jours bien tièdes.

E.D.

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